Dès le mois de mai, les élus ont alerté sur le nombre d’absences, notamment chez les journalistes et les monteurs de Bordeaux. Lors de l’instance de juin, ils insistaient, constatant qu’au 1er juin, 22% des journalistes étaient en arrêt maladie à Bordeaux hors locales.
Ils s’inquiétaient des profils des salariés absents et mettaient en garde contre les risques de sur-absentéisme. Ils saisissaient le DRH du réseau et demandaient en urgence l’aide du pôle soutien et accompagnement.
Le 28 juin, une réunion se tenait en présence du DR, de la DRH, de la rédactrice en chef, des représentants de la QVT, du pôle soutien et accompagnement et de la secrétaire de l’IP. Mais lors de l’instance de proximité du 14 septembre, la direction nous informait que le pôle soutien et accompagnement se dessaisissait et nous laissait toute latitude pour organiser des ateliers avec le cabinet JLO.
Dans ces conditions et compte tenu de l’urgence de la situation, les représentants de proximité d’Aquitaine demandaient à la direction de leur proposer une méthodologie associant un expert extérieur spécialisé en absentéisme, prévoyant une formation des élus à cette thématique et une méthodologie devant aboutir à un plan d’action avec un calendrier précisé lors de l’instance de proximité du 6 octobre. Faute de quoi, ils demanderaient au CSE le vote d’une expertise.
La direction faisait alors le choix du cabinet Ayming. Un comité de pilotage était constitué. La commande d’un diagnostic portant sur les journalistes à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine discutée et entérinée. Les élus auraient préféré une étude en Aquitaine uniquement (puisqu’ils étaient à l’origine de la demande) mais ils validaient néanmoins la proposition du cabinet :
- Poitiers : 2 entretiens collectifs
- Limoges : 2 entretiens collectifs
- Bordeaux 3 entretiens collectifs (un sur Bordeaux, un pour les encadrants, un pour les sites excentrés) et 12 entretiens individuels ouverts pour moitié aux salariés longtemps absents.
Huit mois après leur première alerte, le cabinet Ayming a présenté son diagnostic le 6 janvier 2022. Les élus, tout comme la direction, ont découvert le document lors de la restitution et n’ont donc pas eu la possibilité de l’analyser auparavant.
Pourtant, l’exposé proposé par la psychologue au travail Fabienne Mestagh qui a réalisé les entretiens en décembre les laisse perplexes. Ils découvrent le très faible nombre de participants, 16 dont 3 managers sur les trois antennes, ce qui n’a pas permis de respecter le cahier des charges.
- 8 entretiens individuels ont été réalisés à Bordeaux. 2 managers ont également été entendus.
- 5 entretiens individuels ont été menés à Poitiers (mais dans la discussion il apparaît que deux d’entre eux étaient des PTA !), un manager a été interviewé à Poitiers.
Le peu de participation pose la question de la représentativité reconnaît Ayming. “l’échantillon n’est pas représentatif “, peut-on lire dans son document. Pourtant, il y a un consensus dans les témoignages et la récurrence des propos, garantit Ayming, ce qui permet de mettre en évidence des points saillants.
Le cabinet se questionne sur cette non participation des salariés : est-ce qu’ils ne se sentent pas concernés? Est-ce qu’ils considèrent que cela ne changera rien? Est-ce que leur charge de travail ne leur permet pas de se libérer ?
Les élus CGT avaient trouvé la communication appelant à candidature peu claire. Il aurait fallu planifier ceux qui souhaitaient y participer, ce qui n’ a été que partiellement fait et à la demande de certains salariés. Le choix de la visioconférence pour les sites excentrés n’a pas remporté l’adhésion des salariés. Or les élus CGT avaient relayé le fort absentéisme l’été dernier à la locale de Bayonne. et aucun salarié de cette locale n’a été entendu.
De même, ils regrettent de ne pas avoir été entendus en tant qu’élus. Ils pouvaient s’exprimer en entretien, répond Ayming. Mais pour les élus il était clair que les créneaux arrêtés étaient dédiés aux seuls salariés. Ils s’interrogent : comment le cabinet s’est informé du contexte et des spécificités de FTV et de nos métiers? Son rapport ne fait apparaître aucune donnée statistique (répartition femmes/hommes, pyramide des âges) sur France 3 Nouvelle Aquitaine ni sur les absences de longue durée (profil du salarié, moment de l’arrêt, durée….)
Le diagnostic fait apparaître que, questionnés sur la perception de l’absentéisme, les salariés se disent tous marqués par l’absentéisme conséquent qui touche des salariés investis. 50% évoquent un impact (report de charge, fatigue cumulée, impact de voir les collègues arrêtés…)
Parmi les facteurs d’absentéisme, ils évoquent
- l’accroissement de la charge de travail et la pression de la fatigue
- l’état de santé (Covid, maladie professionnelle)
- le manque d’écoute de la direction (retour et difficultés sur le terrain),
- le vieillissement des salariés
Ils identifient peu la politique de prévention au sein de FTV (qui s’applique plutôt en curatif qu’en préventif ) alors qu’eux sont devenus attentifs à leur santé au travail.
Questionnés sur les sources de satisfaction, ils parlent tous de l’intérêt du métier, certains apprécient la variété, l’apprentissage, le sentiment d’utilité du service public, les relations entre collègues (globalement l’ambiance est bonne mais le collectif est compliqué à Bordeaux). Les avantages qu’offre une entreprise comme FTV ressortent peu, nuance Fabienne Mestagh.
Sur les facteurs d’absence et de contrainte, 85% avancent l’accroissement de la charge et une accélération du rythme. Ils regrettent la politique du “moyens constants” voire décroissants et pas seulement concernant le fonctionnement de Noa, mais aussi la régionalisation, avec un temps d’antenne multiplié par quatre en quatre ans. Ils témoignent de l’augmentation du nombre de directs, du manque de préparation pour les produits longs, de l’évolution des métiers, des outils, des supports qui augmentent la charge mentale.
Ils pointent le risque de perte de qualité, lié à l’accélération du rythme de travail et le manque d’écoute de la hiérarchie qui peuvent “engendrer une crainte voire un sentiment de perte de maîtrise du contenu”. “Cette perte de qualité est d’autant plus impactante qu’elle engage leur image” poursuit le rapport, alors que le métier de journaliste est remis en cause par certains.
Une grande majorité des journalistes interrogés met en avant un manque d’équité, dans la planification, dans la répartition de la charge de travail (toujours les mêmes pour l’actu, toujours les plus motivés qu’on sollicite …) au sein de la rédaction, le sentiment de servir de “bouche trou”…
La directrice régionale par intérim reconnaît la limite de la base du volontariat . C’est un challenge de la direction, affirme-t-elle de “réintroduire de l‘équité et de la justice”
Quant à la direction, rapporte Ayming, elle est perçue comme ‘peu soutenante” : les salariés interviewés regrettent le manque d’écoute des managers, le manque de bienveillance aussi entre collègues, le manque de considération pour l’équipe web et les BEX. La parole, experte, des salariés n’est pas entendue.
Ils ressentent aussi un déséquilibre entre l’effort fourni et les retours. Le manque de stabilité de la direction et des orientations peu visibles viennent s’ajouter (nombreux de changements de cap, pas de cohérence sur le long terme, des postes non comblés ou maladie au poste clé du management…)
Des facteurs extérieurs sont aussi mis en avant comme l’agressivité grandissante de la part du public. Selon Fabienne Mestagh, le produit proposé est perçu comme de moindre qualité alors qu’on s’épuise à le faire et le coup de grâce peut venir de ces agressions. Elles peuvent faire naître le doute sur le métier de journaliste, une forme de culpabilité aussi parce qu’ils n’ont pas le temps de vérifier les infos…
Dans ce contexte, 63% des interviewés gardent une image mitigée de France Nouvelle-Aquitaine, 25% négative, 13% positive
Le rapport résume les propositions émanant des salariés
- développer l’écoute et la confiance des gens de terrain
- travailler sur l’organisation du journal, possibilité de caler des sujets, d’avoir des sujets froids pour pallier les absences.
- rétablir l’équité et la considération du travail de chacun
- renforcer le collectif
- développer la prévention des risques et la qualité de vie au travail (mieux-être au travail, écoute des alertes en amont, intérêt pour la personne et ses problèmes, souplesse organisationnelle)
- travailler sur la motivation et l’engagement
Le cabinet Ayming ne fait aucune proposition, à la grande surprise des élus CGT. Ils ignorent combien a coûté ce diagnostic mais il ne répond clairement pas à leurs attentes. Au-delà du recueil et de la mise en forme du ressenti des salariés (qu’ils auraient pu faire eux-mêmes comme ils l’ont fait dans le cadre de l’enquête à la Fabrique), ce qu’ils espéraient c’était un éclairage sur les moyens de prévenir et traiter l’absentéisme, sur des indicateurs permettant d’évaluer la charge de travail. Néanmoins, les élus CGT notent la prise de conscience de la Direction qui semble décidée à bâtir un plan d’action.
Fabienne Mestagh pense que, prioritairement, il faut mieux répartir la charge de travail.
La DRH rappelle qu’il ne faudrait pas focaliser uniquement sur les points négatifs. Qu’il faut travailler sur la charge de travail individuelle : comment on renforce, on consolide ce qui va bien sans occulter ce qui va mal. Les élus CGT mettent en gardent : une approche individuelle pourrait laisser penser que le salarié débordé ne sait pas s’organiser. Ils insistent sur la nécessité de travailler sur l’organisation du travail et la répartition. Ils maintiennent que la charge globale de travail est trop lourde.
Les élus CGT avancent également l’incidence du forfait jour qui ne permet plus de relever les journées de plus de dix heures et leur récurrence. Le dépassement horaire, on l’a vu lors de l’alerte pour les Gestionnaires d’Antenne, est pourtant un indicateur essentiel qui permet de détecter une surchauffe et d’agir rapidement.
Le responsable financier reconnaît que le décompte horaire permet de dédier du temps à une activité avec un début et une fin de journée inscrits au planning. Pour les journalistes majoritairement au forfait jours, il peut y avoir le sentiment qu’il n’y a pas de fin.
Deux réunions sont prévues avec le comité de pilotage et Ayming. Il conviendra d’impliquer la ligne managériale, de partager les axes prioritaires et comment on travaille dessus selon Ayming.
Les élus CGT resteront impliqués et exigeants quant au plan d’action.